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Quel avenir pour les lycées français de l’étranger ?12 min read

18 novembre 2022 7 min read

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Quel avenir pour les lycées français de l’étranger ?12 min read

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Laetitia Grotti, Consultante éditoriale

L’excellence des lycées français de l’étranger n’est plus à démontrer, ni leur notoriété. Outils d’influence diplomatique et francophone, leurs effectifs augmentent cette année de 2 %. Alors que des objectifs très ambitieux lui ont été assignés, le réseau apparaît dans la tourmente. Explications.

Le réseau de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger (AEFE) est traversé depuis 2020 par de nombreuses crises : crise sanitaire, guerre en Ukraine, crise au Liban, qui ont fortement impacté les établissements, les familles et les personnels. 

Premier impact notable : la fermetures de tous les établissements, puis leur réouverture progressive avec « beaucoup de lycées  (qui) ont dû s’adapter à des protocoles sanitaires très compliqués et à des situations hybrides » ainsi que le rappelait récemment Olivier Brochet, directeur de l’AEFE. 

Deuxième impact : les difficultés financières rencontrées par de nombreuses familles et la baisse des effectifs dans certains établissements notamment lors de la rentrée 2021.

Enfin, l’année scolaire 2021-2022 aura été marquée par les différends avec les syndicats de professeurs et des grèves particulièrement suivies au sein du réseau. En cause, deux nouveaux décrets réglementant pour le premier,  l’augmentation inédite (à hauteur de 150%) de leur taux de cotisation à la retraite et pour le second, les modalités de recrutement. 

C’est pourtant dans ce contexte que l’AEFE est appelée à répondre au doublement des effectifs d’ici 2030 voulu par le Président Emmanuel Macron. Ce dernier, dans un discours sur l’ambition pour la langue française et le plurilinguisme, prononcé à l’Institut de France en mars 2018, précisait que le réseau d’enseignement à l’étranger « sera(it) consolidé, dynamisé pour garantir sa pérennité et répondre à la demande croissante. Les moyens seront maintenus. » Et d’ajouter, « Nous allons aussi développer les établissements partenaires avec l’objectif de doubler le nombre d’élèves accueillis au sein du réseau scolaire français d’ici à 2025. Des pôles régionaux de formation seront créés pour former les nouveaux enseignants, par exemple, au Mexique ou au Liban. »

1 – L’enseignement français à l’étranger : premier réseau d’enseignement au monde

Le réseau d’enseignement français à l’étranger rassemble, à la rentrée 2022, 566 établissements scolaires, implantés dans 138 pays, qui scolarisent près de 390 000 élèves dont 40 % sont français et 60 % d’autres nationalités. Chaque année, ce sont aussi près de 20 000 lycéens qui passent leur bac ! En juin dernier, 98,5% d’entre eux ont obtenu leur baccalauréat, dont 83% avec mention. Des résultats bien au-dessus de la moyenne nationale qui s’est établie à 91,1%. 

Tous ces établissements,  homologués par le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse, sont parties prenantes du réseau de l’enseignement français à l’étranger (EFE), participent à son développement, et sont intégrés  à son fonctionnement au sein de 16 zones de mutualisation. Mais tous n’ont pas le même statut.

Ainsi, 68 sont gérés directement par l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger (AEFE) qui coordonne l’ensemble du réseau,  162 ont passé une convention avec elle, qui permet notamment d’affecter des personnels (établissements conventionnés) et 336 autres sont des établissements partenaires. 

En cette nouvelle année scolaire, dix-sept nouvelles homologations ont été ajoutées au réseau de l’AEFE, et quarante en tant qu’extension d’homologations. L’agrandissement du réseau permet ainsi d’atteindre petit à petit la volonté présidentielle de voir les effectifs d’élèves doubler. 

Reste que l’extension du réseau se fait avec des établissements privés, recrutant des contrats locaux. Un mélange public-privé qui ne manque pas de faire grincer des dents du côté des syndicats et de certains élus. Pour le directeur de l’AEFE, « ceci a toujours existé » et permet au réseau d’établissements français de rester le premier réseau d’enseignement à l’étranger. 

Carte AEFE homologuée

2 – Des ambitions portées par de maigres moyens

Des objectifs ambitieux…

Le 26 janvier dernier se tenait un conseil d’administration extraordinaire de l’AEFE dont le but était de valider ou non le Contrat d’objectifs et de moyens (COM) de l’Agence pour les années 2021-2023. Quatre axes stratégiques étaient ainsi présentés :

  • Accroître l’attractivité de l’enseignement français pour attirer de nouveaux publics ;
  • Renforcer le rôle de l’Agence dans le développement du réseau à l’étranger. Ce qui passe notamment par la création de 16 instituts régionaux de formation (IRF) afin d’accompagner la politique de formation des enseignants recrutés localement ;
  • Renforcer l’accompagnement par l’Agence du réseau labellisé LabelFrancÉducation ainsi que la structuration en réseau des associations de français langue maternelle (FLAM) ;
  • Adapter le fonctionnement de l’Agence aux défis du développement de l’enseignement français

… des moyens financiers et humains en berne

Depuis des années, les subventions accordées par l’Etat à son réseau d’enseignement à l’étranger ne cesse de diminuer, tout comme les postes d’enseignants résidents (512 en 2022), alors qu’il est de plus en plus difficile de recruter localement dans certaines régions. 

Si la subvention à l’Agence à hauteur de 417 millions d’euros est stable en 2022, 10 millions d’euros seront prélevés sur sa trésorerie pour compenser la baisse de l’enveloppe des bourses, nous apprend également Hélène Conway-Mouret, qui regrette par ailleurs que « ce contrat d’objectifs et de moyens (COM) n’apporte aucune garantie quant au rehaussement des aides à la scolarité à leur niveau antérieur, pourtant nécessaire dans la perspective d’une augmentation significative des élèves ». 

Il en est de même du financement des investissements immobiliers nécessaires pour augmenter les capacités d’accueil du réseau. Pour l’heure, le COM évoque la possibilité d’une « mise en commun ponctuelle des réserves de trésorerie disponibles au sein du réseau ou la constitution d’un fonds mutualisé à partir de contributions des établissements ». En clair, l’Agence pourra piocher dans la trésorerie d’un établissement pour financer les projets d’un autre. De quoi faire réagir notre sénatrice : « Les parents principaux contributeurs de ce budget par le paiement des frais de scolarité ne comprendraient pas cette mesure injuste alors que chaque établissement a ses objectifs et enjeux propres.»

projet ambitieux

3 – Un réseau dans la tourmente

Des frais de scolarité en constante augmentation

L’AEFE compte environ 1 000 cadres expatriés, 8 500 enseignants titulaires de l’Éducation nationale (résidents pour l’essentiel) et 25 000 enseignants en contrats locaux.

Pour compenser la baisse des crédits, la participation des familles a augmenté de 60 % en dix ans ! Et elle peut varier de 1 000 euros par an à Madagascar ou Pondichéry jusqu’à… 20 000 dollars à New-York ou San Francisco ! De fait, les lycées français de l’étranger fonctionnent comme des structures privées. Les parents financent 60% du système, via les frais de scolarité, la cantine et le transport. Et l’on peut imaginer qu’avec un recours de plus en plus accru à des personnels en contrat local, cette tendance se poursuive.

En effet, toutes les familles dont les enfants sont scolarisés au sein d’un lycée français de l’étranger connaissent les termes « expatrié », « résident », et « contrat local » qui distinguent les différents statuts d’enseignants (tout comme leur traitement). Or, pour un même poste dans un lycée français de l’étranger, selon qu’il est « conventionné » ou  en « gestion directe », un professeur peut gagner du simple au quadruple !

Les premiers, titulaires de l’Éducation nationale et recrutés au niveau national par l’AEFE, sont en voie d’extinction avancée faute de ressources financières (symbolique s’il en est, le terme « expatrié » a disparu dans le nouveau décret relatif aux modalités de recrutement, au profit de celui « d’agent » !). De fait, outre leur salaire de base lié à leur grade et échelon, ils bénéficient également d’une indemnité d’expatriation dont l’essentiel est supporté par l’AEFE. Ils sont aujourd’hui « détachés » sur des postes de formateurs.

Comme leur nom l’indique, les résidents, également titulaires de l’Éducation nationale, doivent résider dans le pays depuis au moins 3 mois pour être recrutés par l’AEFE au niveau local. Leur salaire est également largement subventionné par l’AEFE.

Enfin, les contrats locaux, de loin les plus nombreux dorénavant au sein du réseau, sont des personnels français ou étrangers, titulaires ou non de l’Éducation nationale, employés et rémunérés par les établissements partenaires avec lesquels ils ont signé un contrat conforme au droit local (bien différent et moins avantageux que le droit français).

Hélène Conway-Mouret, sénatrice des Français de l’étranger notait ainsi que « la baisse des effectifs est de 21 % pour les personnels expatriés et de 7 % pour les résidents. À l’inverse, le personnel de droit local croît de 9 %, représentant logiquement une part croissante des effectifs de l’Agence ». 

Ce que confirment par ailleurs les rapports d’activité de l’AEFE qui font état d’une baisse constante du nombre de candidats aux postes de résidents. Le réseau a ainsi enregistré 21 964 candidatures lors de la campagne 2018, contre 17 892 en 2019 et 16 191 en 2020. 

A défaut de pouvoir recruter des résidents dont les salaires sont versés par l’AEFE, cela signifie que les recrutements se feront localement et seront donc 100% à la charge des établissements. Autrement dit, des frais de scolarité sans précédent ! 

Des conditions de recrutement peu attractives

On l’a vu au printemps, qu’il s’agisse de l’Hexagone ou du réseau des lycées français à l’étranger, il devient de plus en plus difficile de recruter des enseignants. Salaire insuffisant, manque de reconnaissance, conditions de travail difficiles…autant d’obstacles à l’attractivité de ce beau métier. 

Si les beaux jours des enseignants « expats » sont dorénavant terminés, rien n’est fait pour attirer les résidents (dont on rappelle qu’ils sont OBLIGATOIREMENT titulaires de l’Éducation nationale, contrairement aux contrats locaux). Au contraire, deux décrets adoptés cette année n’ont fait qu’envenimer une situation déjà tendue.

La retraite en berne : adopté en catimini, le décret du 26 avril 2022 prévoyant une augmentation inédite à hauteur de 150% (de 11,10% à 27,77%) du taux de cotisation des personnels résidents à l’étranger pour leurs pensions civiles a fait l’effet d’une bombe. Et a conduit à une mobilisation de grande ampleur qui a permis d’ajourner cette mesure. 

Le problème reste néanmoins entier, le décret n’ayant pas été abrogé mais son entrée en vigueur seulement repoussée. C’est peu dire que la manière comme le contenu ont suscité malaise et mouvements de grève auprès de personnels de terrain, déjà largement éprouvés. Et n’ont guère encouragé les éventuels volontaires à se manifester. 

De nouvelles modalités de recrutement

On l’a dit, des statuts très inégaux existent entre enseignants au sein du réseau. Peu le savent mais l’AEFE a été condamné en 2020 par la cour administrative d’appel de Nantes « pour détournement de pouvoir et de procédures ». En cause, un autre type de contrats, dits de résidents au recrutement différés (RRD), autrement appelés “les faux-résidents”. Depuis, plus possible pour l’Agence de faire appel à ces personnels résidents de l’Éducation nationale, soumis au droit local les 3 premiers mois de leur entrée en activité.

Après quatre mois d’âpres négociations et discussions avec les membres des comités techniques de l’AEFE, un nouveau décret relatif aux « modalités de recrutement » des professeurs français à l’étranger est donc paru le 17 juin dernier au Journal officiel. S’il met fin à un système fonctionnant depuis une vingtaine d’années, ce décret laisse un goût amer aux enseignants. Alors qu’ils attendaient une refonte du système de l’indemnité spécifique à la vie locale (ISVL), calculée par rapport à l’endroit de résidence, le décret n’en fait pas mention. 

Tout comme il ne revient pas non plus sur le bornage de la durée des contrats. En effet, depuis 2019, les professeurs résidents sont restreints à des contrats de 3 ans, renouvelables une fois. Or, difficile de se projeter dans un pays quand on sait qu’on ne pourra y rester que 3 ans, qu’il faudra ensuite déménager et donc engager de nouveaux frais… 

Avec de telles mesures, il apparaît que les contrats locaux ont de beaux jours devant eux. Ce qui fait dire à la sénatrice Hélène Conway-Mouret, « la croissance de la proportion du personnel local impliquera un effort de formation important qu’il convient de clarifier.»

La même de s’interroger : « Comment atteindre l’objectif affiché de 700 000 élèves en 2030, alors qu’aucun effort financier significatif de l’Etat n’est fait ? ». Une question que beaucoup partagent, sans que les réponses apportées ne soient très éclairantes, à défaut d’être satisfaisantes.

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