Collège, lycée, un niveau en chute libre8 min read
Reading Time: 5 minutesDepuis le 5 décembre et la publication des résultats du programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), la faiblesse des compétences observées chez les élèves français apparaît de plus en plus alarmante.
Par Laetitia Grotti, Journaliste
Des difficultés à structurer une pensée
Le nouveau bac Blanquer, avec la création des spécialités en classe de 1ère, a réhabilité l’épreuve de la dissertation. Le grand oral, quant à lui, demande aux élèves de structurer leur pensée, de développer leur expression écrite et orale. De fait, la maitrise de la langue s’avère de plus en plus discriminante au bac, de même que dans le supérieur.
Pourtant, les enseignants sont unanimes : les 15-25 ans font globalement montre de compétences en français de plus en plus faibles. Niveau d’orthographe, de syntaxe et de culture générale en chute libre, difficultés à articuler des idées, à comprendre et à synthétiser des textes… Et cette baisse va s’accentuant, pour atteindre des proportions souvent alarmantes dans les zones d’éducation prioritaire.
Des savoirs fondamentaux non maîtrisés
Et ce qui est vrai pour nos ados, l’est déjà pour les plus jeunes. Évalués en CP, CE1, CM1, 6e et 4e sur des compétences en français et en mathématiques, ces derniers sont déjà nombreux à se montrer perdus face aux savoirs qu’on leur enseigne. En septembre, les résultats des évaluations nationales réalisées à l’entrée en 6e montraient qu’un élève sur 3 ne sait pas lire correctement, ou encore qu’ils sont 78% à ne pas savoir placer correctement ½ sur une ligne graduée.
Deux ans plus tard, en 4e, « il n’y a pas de réduction réelle des écarts entre la 6e et la 4e sur le niveau des élèves. (…) On voit que durant le collège le niveau stagne, voire régresse, ce qui signifie que le collège ne parvient pas à réduire les écarts constatés à l’entrée en 6e. Le risque, si on ne fait rien, c’est que notre collège tombe en panne», expliquait Gabriel Attal, dans un entretien au « Parisien ». Selon le ministre, les résultats des élèves de 4e « ne sont pas satisfaisants et sont même plutôt inquiétants. Un peu plus de la moitié des élèves ne lisent pas convenablement et en mathématiques, plus de la moitié ne maîtrisent pas la résolution de problèmes et la géométrie ». En clair, plus de la moitié des collégiens ne maîtrisent pas les savoirs fondamentaux.
Comment s’étonner dès lors des résultats observés en classe de seconde, dans le cadre de la dernière enquête PISA ? Publié tous les 3 ans sous l’égide de l’OCDE, le classement PISA s’intéresse à trois domaines fondamentaux des apprentissages : les sciences, les mathématiques et la compréhension écrite (langue maternelle), tout en proposant un développement approfondi de l’une des matières. Cette année, la « majeure du classement » étaient les mathématiques. L’enquête s’est appuyée sur un échantillon de 690 000 élèves de 15 ans, dont près de 7 000 en France.
Esprit critique, es-tu (encore) là ?
L’intérêt de cette enquête internationale est qu’elle ne cherche pas simplement à évaluer la faculté́ des élèves à reproduire ce qu’ils ont appris, mais vise à déterminer dans quelle mesure ils sont capables d’extrapoler à partir de ce qu’ils ont appris ; d’utiliser leurs connaissances dans des situations qui ne leur sont pas familières, qu’elles soient ou non en rapport avec l’école.
Une approche qui valorise davantage la capacité des individus à utiliser leurs connaissances, plutôt que ces connaissances en tant que telles. Or, études après études, on note que les élèves français éprouvent des difficultés à mobiliser leurs connaissances et à exercer leur esprit critique pour affronter des situations qui sortent des habitudes du travail scolaire.
Au plan mondial, « les résultats de 2022 sont parmi les plus bas jamais mesurés », selon l’Organisation. « Les écarts entre chaque étude (tous les trois ans) n’avaient jusqu’ici jamais dépassé 4 points ». En mathématiques, la moyenne de l’OCDE a baissé de 15 points en 4 ans !
La France, en chute libre !
Or, non seulement la France n’échappe pas à cette chute mais ses résultats baissent davantage qu’ailleurs. Avec un recul de 21 points en mathématiques, « la forte baisse observée en France entre 2018 et 2022 est la plus importante depuis la première étude PISA ». Une baisse que l’on constate également en compréhension écrite et en sciences. Ainsi, le score des élèves français chute de 19 points en compréhension écrite et de 6 points en sciences contre des baisses de 10 et 2 points dans le reste de l’OCDE.
Cette baisse concerne par ailleurs tous les élèves, les plus en difficulté comme les meilleurs. En 10 ans, la France a vu sa part d’élèves très performants baisser de 5,5 points quand dans le même temps, le nombre d’élèves en difficulté augmentait de 6,5 points. Des évolutions « plus accentuées » que dans le reste de l’OCDE.
En cause notamment pour expliquer la « chute dramatique » des performances : la crise du Covid, qui a agi comme « un accélérateur de baisse de performances ». Reste que cette tendance à la baisse était observée depuis une dizaine d’années et que la seule pandémie ne saurait tout expliquer.
L’école, entre problèmes conjoncturels et structurels
En français par exemple, peut-on réellement compter pour nulle la baisse, aussi conséquente que continue, du nombre d’heures de français dans les programmes depuis 50 ans ? Primaire et collège additionnés, les élèves ont perdu plus de 520 heures de français, soit 2 années pleines de formation, depuis 1968. Un manque qui, pour certains professeurs, se trouvent accentué par la suppression des travaux en classe dédoublée qui permettaient un travail plus qualitatif et individualisé. En sciences, un élève français bénéficie à peine de la moitié des heures de cours suivies par un élève japonais.
D’autres sujets semblent ne guère progresser, comme « le soutien des élèves par les enseignants », jugé insuffisant. Seul un élève sur deux déclare que son professeur s’intéresse aux progrès de chaque élève dans la plupart des cours. Et seuls 59 % des élèves indiquent que le professeur continue à expliquer jusqu’à ce que les élèves aient compris. Pourtant, à en juger par les résultats d’autres pays, ce soutien des enseignants est essentiel pour améliorer les performances.
Encore faut-il s’interroger sur la formation des enseignants, que certains n’hésitent pas qualifier d’insuffisante et inadaptée. Et ce, tant pour la formation initiale, avec un temps de stage désormais réduit à un an, que continue. Lors d’une précédente évaluation internationale (PIRLS 2016), 38% des enseignants de français confiaient ainsi n’avoir participé à aucune formation professionnelle en lecture-compréhension au cours des deux dernières années, contre 22% en moyenne pour les autres pays européens.
Par ailleurs, la crise des vocations due aux conditions d’exercice de plus en plus ingrates du métier, a réduit le nombre de candidats aux concours. Or, cette pénurie de professeurs, qui fait un bond de 50 % par rapport à 2018, « a un impact sur les résultats ». En 2018, 17 % des élèves étaient dans des établissements où la pénurie d’enseignants « entravait l’instruction ». Ils sont 67 % en 2022 ! C’est la plus importante hausse au sein de l’OCDE. Cette envolée de 50 points creuse « un écart énorme » avec la moyenne des pays de l’OCDE (+21 points). Une pénurie qui fait également plonger le niveau d’exigence des futurs enseignants. « Avec des admis aux concours du primaire et du secondaire ayant parfois, dans certaines académies, obtenu une note largement en-dessous de la moyenne ».
Des choix politiques contestés
On le constate, les défis posés par l’école sont nombreux et certains choix politiques sont également dénoncés, comme la raréfaction du redoublement qui a eu pour conséquence de laisser passer des élèves « limites » en classe supérieure, avec pour résultat, une accumulation de lacunes.
Plus largement, l’empilement de réformes manquant trop souvent de continuité, de vision et de préparation est également critiqué. « On a éliminé des programmes tout ce qui passe pour ennuyeux : hier l’apprentissage syllabique de la lecture au profit de ‘devinettes’, aujourd’hui l’analyse logique de la phrase au profit de la grammaire par ‘manipulations’» observe un professeur. Pour beaucoup, l’enseignement est devenu incohérent… et encore plus inégalitaire.
Deux heures consacrées à la lecture chaque jour en CP, au moins un texte écrit chaque semaine pour les CM2, constitution de groupes de niveau en français et en maths, retour du redoublement…autant d’annonces faites par Gabriel Attal pour « mettre le paquet sur les savoirs fondamentaux » et tenter d’endiguer une baisse de niveau qui semble inexorable. Reste à savoir si ces mesures seront à la hauteur des défis posés. Rendez-vous dans 3 ans !